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L'atelier du coin

11 mai 2009

Terre (1)

Et c'est comme ça que je me suis retrouvé à manger de la terre.
Cela faisait dix bonnes minutes que je parlais, un vrai miracle soit dit en passant. Ça ne m'était pas arrivé depuis longtemps. De ces longtemps qui se mesurent en années. Seul, là-bas. Je n'en revenais toujours pas d'être ici, maintenant, face à elle.
Je m'étais interrompu à un moment donné pour reprendre du thé, je l'avais même bu trop vite et ça m'avait dégouliné le long du menton, mais j'avais repris le fil. Je crois bien que pas une seule seconde, pas une seule, Sylvie n'avait changé d'attitude. Comme statufiée elle qui jusque là ressemblait davantage à une pile électrique. Ca changeait de ma batterie sempiternellement à plat.
Elle avait mal dormi les trois nuit précédentes, me confia-t-elle. Ce rendez-vous la perturbait. Elle se retrouvait comme une gamine avant un premier rendez-vous. Des dizaine de fois elle avait d'ailleurs joint ses mains devant elle, en disant : Je n'en reviens pas que ce soit toi, que tu sois là. Bonhomme, je souriais.
Mais là, tétanisée, la pile. Off. Même ses boucles d'oreilles qui vibrillonnaient jusque là s'étaient comme figées. Rendues muettes. Elle était soudain toute en écoute, en attention, en concentration: bouche légèrement entrouverte, yeux arrondis, mains contre le menton. J'aperçus quelques rides. Elle avait des bagues aux doigts. Trop de bagues. Elle avait trop de maquillage, aussi.
Elle me fixait. Même après que j'ai eu dit ça elle me fixait.
Je repris du thé. Fit cette fois attention au menton. Ca fait toujours drôle quand on a juré de se taire et que ça sort. Personne n'aurait réussi à me convaincre que ça sortirait comme ça et à ce moment là. Personne. Et pourtant, ça avait jailli. Je le déplorais, maintenant. Amèrement. J'aurais payé cher pour ravaler ces mots-là, faire une autre mixture, dire n'importe quoi d'autre, de préférence.
Elle avait les doigts tous tordus, de ne savoir quoi faire de ce silence qui avait succédé à mon propos. Les bagues ne pipaient mot mais devaient sacrément se serrer et se tortiller pour que chacune s'y retrouve. J'avais pour ma part le regard périphérique de ne savoir moi non plus quoi faire de ce silence.
J'avais juste conscience que je m'étais mis tout seul dans le pétrin. Conscience que le cas échéant, je n'aurais qu'à m'en prendre à moi-même. Comme d'habitude. Je n'en souffrais pas. Je ne comprenais pas ce qui m'avait pris. C'est tout. Et comme d'habitude, cela suffisait à me tarauder.
A un moment donné, on était là depuis une bonne heure maintenant et les préliminaires avaient été comme ils avaient pu, c'est à dire remplis de silences, de gênes, de regards à la dérobée, de sourires, de rictus. A notre décharge, nous ne nous étions pas vus depuis tant d'années et on disait tellement rien que j'avais lâché ces quelques mots. L'air de rien. Comme une tentative désespérée. En tout cas désespérante pour moi et apparemment pleine d'espoir pour elle.
Ce fut presque un murmure, pourtant. Une douce tape dans le dos, du bout d'un doigt, des lèves, quasiment de l'esquive. Comme on sort une anecdote sans faire plus attention que ça, histoire de. Même pas de l'euphorie ou quelque chose de ce genre-là. Même pas. La phrase qui semble ne pas prêter à conséquence, tortillée dans le flux, une phrase qu'on prononce sans trop faire gaffe, qu'on est même surpris d'avoir prononcée tellement on ne l'avait pas en tête; puisque depuis une heure, je me demandais si Sylvie serait ma première relation sexuelle depuis des lustres. Elle semblait en état de donner une issue favorable à ce projet mais je me prenais à craindre que cette phrase, justement, prête finalement à conséquence. Sacrément.
Car Sylvie avait tout de suite embrayé. Elle m'avait demandé de raconter. Roulé des yeux. Allez, raconte. Elle avait du sentir que notre rencontre avait fini par basculer et ce n'était pas dans un canapé. Pour le moment.

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11 mai 2009

Terre (2)

Je m'étais finalement laissé convaincre. De toutes façons, je ne restais pas assez longtemps en ville pour chercher à gagner du temps. Alors je racontai. Elle venait de finir sa première tarte au flan. Et moi de mettre un terme à plus de dix ans d'esquives. Je racontai tout, sans filtre, avec moult détails. Tout. Dix ans, dix secondes, dix minutes. Pas plus. Ca ne pèse pas bien lourd, finalement, un secret. Quoique. Désormais, du silence flottait dans ce café pourtant bruyant. C'était comme un nuage floconneux qui se plairait là et qui déciderait de ne plus bouger malgré le vent contraire. Au point qu'elle attaqua sa seconde tarte. J'aurais aimé qu'elle m'en mette une, là, tout de suite. Mais nous n'étions pas encore assez intimes, c'était évident. Qu'elle y aurait songé qu'elle ne l'aurait probablement pas osée. Je profitai du moment pour vérifier, regardant alentour, si seul notre silence s'était pointé ou si d'autres trainaient dans les partage. Rien, évidemment. Pas grand chose, disons. Ah, si, là-bas, peut-être. Ce couple. Quoi que non. A bien y observer, je sentis que ce n'était pas un silence, entre eux, c'était bien davantage, plus épais, corné, usé. une guerre, sourde et froide, de celles qui se nouent sans mots. Loin, le silence. Jeté. Vidé de sa substance. Exsangue. Pourquoi restaient-ils côte à côte, d'ailleurs ? Je me le demandais. Pourquoi s'infligeaient-ils cette proximité ? N'avaient-ils donc pas d'autres gens avec qui tuer le temps ? Des amis, de la famille, un prêtre, un avocat, une tireuse de carte ?
Je passai d'autres tables en revue. Il y avait beaucoup de monde. C'était l'après-midi. Un samedi. Ce n'était pas si étonnant, en fait. Qu'il y ait beaucoup de monde. J'aurais eu une montre, je l'aurais consultée tellement je ne savais plus ni quoi faire ni quoi dire après ma longue tirande et en attendant que Sylvie dise que chose. Mais je n'avais pas de montre. Je cherchai des yeux une pendule que je ne trouvai pas. Je regardai Sylvie sans la regarder, quand je remarquai ce type. Au comptoir. Il avait de la terre aux semelles. Il portait des bottes, le genre à venir se jeter un godet de courage avant d'aller bosser, ou de s'en jeter un après le boulot, ou les deux, je n'en savais rien, après tout. J'en était à me demander ce qu'un type des champs venait faire en tenue à la brasserie de la gare, en pleine ville, quand je remarquai que Sylvie avait quitté son regard parti net au moment de mes premières paroles et venait d'en prendre un autre. Elle déshabilla le silence et je lui en sut gré. Tout n'était pas perdu pour ma première relation sexuelle. Vraiment.
Tu as mangé de la terre... Mangé de la terre... De la terre...Cela me suffisait. Elle me donnait vraiment l'impression de vouloir faire entrer au burin dans sa tête chacun des mots pendant que je me demandais comment j'allais remonter la pente avec elle surtout avec le peu de temps qui nous restait.
Son excitation des premières minutes, son exubérance, s'étaient envolées. Sa voix avait changé. Plus posée, maintenant. Avec des mots prononcés plus lentement. Le teint plus grave. Ca ne pinchait plus. Elle me croyait, je le sentais, et si je n'en éprouvais aucune fierté, je devais quand même ressentir une sorte de soulagement. Elle m'avait toujours cru capable de tout. En même temps, elle n'y croyait pas, tout bonnement parce que c'était incroyable. Tuer quelqu'un. Et manger de la terre. Incroyable.
Je n'avais pas évoqué le cadavre. La prison. Les "experts", vus et revus. Mystère, un point c'est tout, restons-en là cher Monsieur. Bracelet électronique, néanmoins.
Exceptionnellement, je l'avais mis à mes pieds. Pas au poignet. Cheville gauche. Pas poignet droit. Ca ne manquait pas de m'interroger, ça m'occupa d'ailleurs un bon moment durant le trajet : mais comment allais-je faire lorsque nous serions au lit ? Au point que j'avais opté pour une relation qui se ferait à la va-vite, debout, moins glamour, et de surcroît plus conforme avec le temps que je m'étais imparti.
Le couple s'était levé. Il paya. Elle marcha devant. Il suivit. Il avait envie de quoi ?
Sylvie devait en être aux points de suspension de sa phrase car un peu après, elle ajouta : Mais c'est dingue ! Dingue !
Elle souriait, maintenant. Un peu. Les bottes avaient quitté le comptoir, j'avais terminé mon thé, j'hésitais. Ce sourire, était-il peur ? Moquerie ? Promesse, genre celle-là pour sûr, je vais la raconter. Je frissonnai à cette perspective, me voyant star chez le coiffeur, puis à la pause entre collègues, héros des soirées entre amis, et même des soirées où l'on ne se connaît pas. Un vernissage d'expo, peut-être ? Un pot après un spectacle ?
Sylvie était de ceux qui vivent à mille à l'heure, se plaignant de leur célibat tout en le vantant dés qu'elle en avait l'occasion. Comme les banlieusards faisaient la promotion du Paris avec tous ces spectacles mais qu'ils n'avaient jamais le temps d'aller voir. Ces pensées étaient de toutes façons stupides de ma part : je n'étais venu ici que quelques heures. Pas plus de quelques heures. C'est ce que je lui avais écrit. C'est ce que j'avais fait.

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